Face au monde (terrarium) | Étienne Michelet

Il y a celles et ceux qui ont les moyens et les raisons de s’insurger, et la masse silencieuse de celles et ceux dont la grammaire déchoit, qui ne sauraient habiter le vide ni le remplir, mais dont les colères sourdes ne sont pas moins réelles, en d’autres lieux sans doute, là où on ne les entend pas. C’est à une politique de l’indicible que nous convie ce texte, à hauteur d’adolescente, de sa tortue, du végétal et de leur langage.

Une adolescente. Franco-coréenne, donc binationale, vit à Séoul, au nord de la ville, près de la montagne du nord, le Bukhansan. Dans sa chambre, un terrarium. Dans le terrarium, une tortue noire. Elle l’appelle Nabi, ce qui veut dire papillon. Enfant silencieuse, calme et souple. Elle parle souvent avec sa tortue. Et cela, personne ne le sait. 

Elle se dit qu’elle est autre, qu’elle ne sait ni parler ni agir.
Mais être autre ne veut rien dire. 
Tout est autre, et rien n’est la même chose. 

Sonder le Vide est une expérience, et cela ne lui apporte aucune réponse. 
Mais, dans cette absence de réponse, elle trouve sa manière d’être. 

En expérimentant ce qui à la fois conduit son existence, lui échappe et l’annule, 
elle demeure inaltérable et imperturbable.

Quelques inquiétudes face au monde, à son écroulement. 
Mais au fond, quelque chose ne bouge pas. 
Alors, même si rien n’est véritablement immobile, elle reste immobile et elle écoute le monde. 

Elle sait écouter sa tortue, son silence. Elle n’écoute que ça, car c’est déjà beaucoup. 
Le reste, ce n’est rien. Son corps est dans ce silence. Ses mouvements sont dans ce silence. 
Elle n’ira plus sur le terrain de la parole, de l’agitation, du ressentiment. 
C’est pour elle, comme revenir à zéro. 

Un exotisme ? 

À la question : quel territoire choisis-tu ? 
Elle répond : le territoire sans territoire. 

On lui demande : est-ce que les plantes sont à l’écoute du monde ? 
Elle répond : oui, définitivement. 

Considérations sur l’ego face au végétal

L’adolescente regarde la tortue, elle lui lit un texte qu’elle a écrit sur son téléphone : 
La plante ne vous fera aucun signe. N’attendez rien d’elle. 
La plante vous rappelle que vous n’êtes rien, et c’est très bien comme ça. 
Même si vous êtes habitué·es à être écouté·es, à être regardé·es, elle ne vous écoutera jamais, elle ne vous regardera pas une seule fois. Vous n’êtes rien pour elle et c’est très bien comme ça.

Il y a une manière de vivre qui se situe où la parole, où la pensée n’a plus lieu d’être.

À travers la vitre du terrarium, surtout la nuit, sa tortue est aussi capable de lui transmettre des enseignements.

Elles parlent sans remuer les lèvres. 
C’est très important : 

NE TE LAISSE PAS ÉCRASER PAR LE BRUIT DU MONDE
NE LES LAISSE PAS FORMER LEURS VŒUX SUR TON CORPS
LEUR POLITIQUE EST UNE FLAQUE DE SANG
LEUR VISAGE EST LA PESANTEUR DU MONDE

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